Souvraz n’est pas un épouvantail, du
moins pour ceux qui cherchent dans la peinture un regard au-delà
d’eux-mêmes, comme ils le cherchent dans les livres, au théâtre,
dans l’Art en général, et pour ceux-là, Souvraz ne fait pas
peur, il est même nourrissant de perspectives et de
découvertes.
Jean-Paul Souvraz a accroché à la GALERIE 75 deux
toiles représentant des épouvantails, de ceux qu’enfant il
craignait en s’étonnant que les corbeaux, destinataires de
l’effroi programmé, nichent dans leurs chapeaux et piquent leurs
dérisoires corps de chiffon pour en voler leur chair de paille. Le
travail des oiseaux rendait plus inquiétant encore ces visages
troués de crevasses sans yeux, dont les multiples regards semblaient
le suivre, lui le jeune enfant accroché à la tiédeur sécurisante
de la main maternelle.
Souvraz peint mat et ses personnages,
contournés d’un trait continu et noir à manière de Georges
Rouault, respirent d’une lumière profonde qui semble s’adresser
à ceux qui daignent l’attendre par un regard soutenu.
Dans la GALERIE 75, face aux
épouvantails, hasard de l’accrochage, se trouve un curieux
personnage à la tête rouge et au visage grêlé. Cet homme à la
tête de fraise, lourdement casquée, uniformisé, paraît être un
soldat et bien que l’on ne lui devine aucune arme, il semble que
son rôle soit d’effrayer les hommes oiseaux en but à un curieux
tribunal.
Ces hommes oiseaux ont la liberté de leurs plumes. Le
grêlé pourrait bien les leur arracher à la demande du présentateur
de journal télévisé qui trône, en podium, sur le buffet fatigué
des illusions humaines.
Flanqué de ses assesseurs, êtres
réifiés que la boite de leur certitude encaque, le Président
fatigué stoppe d’un arrêté l’écoulement que l’homme désarmé
est chargé d’exécuter.
Souvraz, lors de voyages en Italie, fut
attiré par l’aspect mat des fresques et sans doute par les
histoires qui y étaient peintes. Quand on regarde le travail de
Souvraz, quelque soit l’incidence de vue, il n’y a ni moirage, ni
brillance qui viennent troubler la scène qui, bien au-delà de
l’exercice de représentation propose une dérive mentale, un
voyage mnésique, un vagabondage.
Être en présence d’une
toile de Souvraz est assez curieux, du moins dans la série qui est
exposée à la GALERIE 75 jusqu’au 30 novembre 22. L’image semble
boire le regard, absorbant la lumière. Être trop hâtif en laissant
dériver le regard, nous prive de l’émergence d’une lumière
irradiante, comme venue de l’épaisseur de la peinture. Souvraz ne
peint pas en aplat, ses teintes ont la complexité du vent, de l’eau,
et, dans la vibration, et, de la vibration surgit cette lumière qui
vient chercher l’œil pour plonger dans la mémoire et y cueillir
l’écho qui donnera un sens, souvent changeant, à la scène
habitée de personnages. On ne regarde pas un Souvraz sans le vivre,
sans chercher à y rentrer, à demander ce qui se dit, à chercher
les symboles récurrents, les liens de ce qui constitue de toile en
toile une fresque géante qui, comme une bande dessinée raconte
l’auteur, mais nous raconte aussi.
Les personnages de Souvraz sont très
souvent mis en boite, avec ou sans roulettes, leurs corps en sortent,
le plus souvent sans libérer les bras qui sont soudés aux troncs.
Ces boites sont une sorte d’habit et même un habitat, comme le
sont les coquilles des Bernard- l’ermites, et je vous propose de
jeter un œil sur ce petit film https://www.youtube.com/watch?v=LN4heY49lu8.
Sont-ils nés dans ces boites les personnages de Souvraz, en
changent-ils ? Il faut voir ces boites comme une métaphore de
la condition culturelle, de la standardisation du comportement, de la
complaisance à l’aliénation, du goût pour la solitude, pour
l’isolement, pour la cérébralisation. Ces boites sont une
sécurité et un abandon, elles limitent l’effroi à l’acceptation
du quotidien. Dans l’œuvre « Hommage à Maryan »,
Jean-Paul Souvraz reprend en citation une œuvre de ce peintre, qui
lui est si important et que M. Gorgô me dit avoir découvert lors de
ses premiers intérêts pour la peinture. Maryan est polonais de
naissance et américain de décès, il vécu de 1927 à 1977. Est-ce
de lui que vient cette image de la boite que Souvraz met sur
roulette, comme pour prétendre à une évolution ou, du moins, à
une interprétation ?
Souvraz, dans cette variation, outre la
qualité quasi textile des fonds, que Maryan réduit à l’aplat,
plante une tête d’oiseau laissant penser cette caisse à être le
cheval à bascule que, peut-être il reçut, enfant, en cadeau de
sagesse ou d’abandon. Reste cet uniforme, autre forme de caisse,
prototype de celle en sapin qui couvre si bien la dépouille de
l’esprit envolé et qui justifie les bras abandonnés, réduits au
silence du « gardeàvous ». Le corps de l’oiseau, celui
qui par ses ailes et ses plumes sait si bien voler et dire à l’ennui
que la vie est si belle, n’est plus qu’un bâton porteur d’un
trophée, mascotte silencieuse enfin calme et docile, enfin réifié,
mais fierté de celui qui en son nom se tait.
Souvraz bout d’une
colère tranquille.
Cette histoire de boite, dans l’œuvre
de Jean-Paul Souvraz, est très intrigante. La boite est une
continuité particulièrement humaine, elle se nomme berceau, puis
cercueil, avec entre les deux tout simplement « la boite »,
celle qui identifie et qui sert de carte de visite et qui vous cerne
un individu à sa stricte opérativité sociale. Les personnages de
Soubraz sont la plupart du temps sans contact avec le sol et Il
semble qu’il y ai un rapport entre la boite et les bras des
personnages : ceux qui sont dans des boites n’ont pas de bras
contrairement à ceux qui n’y sont pas, ou qui sont simplement
posés sur un socle, laissant penser un rapport entre l’assignation
sociale et la profondeur.
Ces boites, plus ou moins profondes
allant même à n’être que des plateaux, Souvraz les équipe de
roues et semble dire que l’on ne fuit pas simplement la lourdeur de
la destinée forgée à coups de naissance, culture, désignation,
interdictions et qui réduit la liberté au champ stricte de ce qui
est octroyé et qu’il faut de la témérité pour devenir l’Indien,
celui qui, armé de plumes, sera le corbeau frondeur, perché sur le
chapeau de l’épouvantail, dont il percera le visage et le corps
pour en extraire la sève de paille qui lui servira de litière.
Souvraz est un frondeur silencieux armé de colle et de pigment qui
lui rappellent l’Italie et ses fresques bavardes. Dans le calme de
son atelier, boite immobile aux murs transparents de souvenir, de
pensées, Soubvraz se parle et nous montre.
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