Je suis collé à ses lèvres, devinant ses mots avant lui, mais ne les disant pas. Ce sont ses mots à lui, ou à elle. Moi, je ne sais pas si je suis lui ou elle. Le Moi, même me gêne. Je me contente du Je par facilité, me demandant si ce n’est pas de l’autre dont je suis le jeu. Comme les autres je me regarde peu. Je me regarde le matin, dans le miroir, et pense que je suis un autre, qui me regarde.
Je ne sais pas si cet autre me ressemble, je ne me vois pas en dehors de ce miroir, ou s’il me ressemble, alors je me découvre et m’étonne d’avoir cette tête que je pense être la sienne. Cet autre m’est si intimement lié que je ne peux pas m’imaginer seul, sans lui, sans elle. Ça serait comme sans moi.
Ce sont les mots qui nous lient. Surtout les mots pensés, ceux qui ont des racines tellement profondes qu’elles boivent le suc qui nourrissent mes idées, enfin les siennes aussi. Il y a des jours où je le déteste et puis d’autres où je me déteste. Cette fureur me dit que j’existe, mais elle me fait mal. Je l’aime tellement cet autre, c’est lui qui me dit exister, mais je ne sais pas s’il parle d’elle ou de lui ou de moi ou de nous.
Ces mots transpirent plus qu’ils sont dits. Ils s’évaporent en un gaz si lourd qu’ils disparaissent dans la couche profonde où dormes les rêves, les miens, les siens, les leurs, tous ceux que j’ai faits en étant moi et lui et les autres encore, mêlés aux rêves d’autres qui ont dormis dans ce lit et ont peut-être pensé être moi.
Le lit est un livre où les lettres se bousculent comme dans un potage d’enfant. Dans son intime bourre, les rêves attendent qu’une main les saisisse, les caresse, les porte à la lumière pour dire au rêveur qui les a oubliés qu’ils sont toujours vivants.