Remets moi un p’tit jaune patron. Non, t’as raison, j’ai pas l’moral. Le jaune je le vois comme un smog, comme une sanie, comme une flaque de pisse. Pourtant j’aime bien le jaune, comme celui des boutons d’or par exemple. Ha, j’en ai offert des boutons d’or, surtout à ma voisine qui disait que le bouton d’or veut dire « votre beauté me charme ». J’avais 10 ans, on jouait au docteur. En grandissant j’ai offert tout ce qui était jaune.
Le moindre truc un peu jaune j’en faisais une estrade pour décrocher les cœurs. Hé, patron, il est un peu léger ton jaune, tu peux lui donner une p’tite sœur ? Jaune comme ça, ça me fait penser à Bernadette avec ses pièces jaunes, ses hôpitaux et l’autre gros dur qui tendait ses pognes de géant pour les récolter.
Oh ! zut, quelle banane, je m’enfonce dans des souvenirs à la noix. Le jaune c’est le soleil, c’est la vie, le bonheur, l’Amour, les regards qui pétillent. Je ne comprends pas qu’on appelle les traitres des jaunes, sauf, peut-être, pour les comparer à des pets foireux.
Le jaune est une couleur délicate, mais si on ne fait pas attention il vire au noir, comme moi en ce moment. Je crois qu’on ne fait qu’un. Un un plutôt moi à ce qu’elle m’a dit, en précisant que sa portion de un devait être sensible au réchauffement climatique.
Jane, je l’appelle jaunette. Au début elle aimait ça, puis elle m’a dit que ça allait bien, qu’on était plus des mômes et que nénette comme diminutif c’était pas ce qu’il y avait de mieux. Alors, je me suis habitué à redire son prénom sans m’apercevoir que le soleil ne brillait plus et qu’allumer la lumière ne le remplaçait pas. Le jaune avait viré au sombre. On pataugeait dans la gadoue. Surtout moi et j’en mettais partout.
Noir comme je suis, lui offrir les tulipes jaunes de l’inquiétude du chemin partagé, risque de se conclure par l’indication muette de la porte d’entrée, qui, pour le fait, sera celle de sortie. Le temps est à l’orage. Ses yeux sont zébrés d’éclats aveuglants et dans cet orage de mots concassés et brisés, je me noie à la désirer.