Aucun être, qu’il soit humain, animal, végétal, aucun être ne choisit de naître ; un jour il est et, un autre jour il sait qu’il va mourir. Dans cette plage de vivre, le long de l’océan de jours à venir, surgissent les mains qui apprennent à marcher et qui transforment en rails le chemin vacillant des premiers pas.
Quelles mains mordre ? Les tendues, les tenues ? Quelles mains embrasser ? celles qui laissent aller, celles qui relèvent ? Un jour, pour certains, le vent d’une annonce efface ces questions. De qui être l’enfant, de qui être le parent ? le doigt de la Destiné embroche-t-il toutes les générations à la manière d’un fatidique collier dont chaque perle serait une redite de la précédente et l’image de la suivante. Qu’en est-il du fameux libre arbitre qui n’est toléré que dans le respect de la tradition.
Hémon, qui doit épouser Ismène, la femme qui serre les dents et veux vivre en dépit de l’affreuse ascendance, se déclare à Antigone, la femme qui refuse de vivre ne voyant dans sa destinée qu’un sable mouvant et dans l’amour d’Hémon qu’un pont jeté entre l’épouvante et la pitié. Hémon veut réparer et empêcher le fatal effritement que la mort d’Œdipe initia, que celles de ses fils Etéocle et Polynice amplifia et que la mort de Jocaste installe en certitude.
Hémon veut sauver le dernier rempart de la raison, en abandonnant Ismène pour Antigone il brave les dieux, que l’anéantissement de la Maison d’Œdipe semble distraire. Antigone veut mourir, Hémon lui fait horreur à vouloir lui faire oublier qu’elle est la fille de son frère, qu’elle n’aurait jamais dû naître et que seule la main aveugle de la Loi peut défaire le tort que lui inflige le sort. Hémon se veut l’ultime barrage, celui par qui la force de la vie balaiera les miasmes d’une génétique dévoyée, quitte à lutter contre son père, quitte à en perdre la vie. Hémon est celui que l’idéal porte, dû-t-il l’emporter.