La bourre est au rêve une sorte d’éponge qu’il faut presser pour en tirer le jus des pensées que la somnolence des nuits dépose au creux des lits défaits.
La couche, sur laquelle l’oubli vient vider le dormeur, se nourrit des fragiles images échappées des lentes respirations du sommeil. Elle les laisse s’étendre, se détendre, s’épanouir dans l’entrelac des fils de la profondeur de sa chair de ténèbres.
La couche est une sorte de purgatoire dans laquelle se nichent les rêves et les pensées, les remugles et les refus, les désirs et toutes sortes d’envies et de détestations.
La couche attend le jour où sa peau trop tendue de ces éclats de vie confiés à la nuit, s’ouvrira à leur germinale libération. Moment fatal qui fera le tri, ou de l’oubli total, ou de la mutation. Cela dépendra des mains qui fouilleront ses entrailles à la recherche ou l’abandon de ces vies déposées.
Les doigts de Philippe AÏNI ont des yeux aux oreilles attentives. Ils écoutent et chantent les mots des fibres graissées de tant de nuits passées. Pour lui, ces pensées secrètes que même le rêveur ignore, sont le pain nécessaire à sa vie quotidienne. AÏNI est le levain, sans lui, et de grande misère, aucune mie s’aère.
AÏNI brasse autant qu’il est brassé, dans cet immense pétrin qui le poudre des mots à peine prononcés. Lui, les entend, ces phrases entrecoupées.
Lui, les voit ces locutions hachées aux timbres étouffés. La nuit, le jour, incertains voyages, il lui faut y aller et arpenter un paysage inventé par la danse d’un pinceau ébouriffé d’impatience. AÏNI flotte et tend la toile que la bourre si phraseuse habille d’images insensées.
AÏNI navigue dans un océan sans autre destinée que le chant des sirènes qu’Ulysse, un jour de vent terrible, lui raconta, pour qu’il les suive, pour qu’il les chante lui aussi, pour qu’il les hurle à sa fatigue, à son doute, à sa fragile volonté de n’être que comme les autres.
AÏNI se doit, à lui-même, aux autres, à ceux qui comme lui ont tant d’autres vies que celle qui leur est assignée et qui comme lui plongent, au profond de l’oubli, à pousser tant de portes, à voir tant de choses, à n’être, en fin de compte, que des êtres criant que la vie est bien plus grande que la vie.
De la bourre qui gonfle les lits labourés de rêves et d’envies, que tant de nuits, que tant de jours aussi et de moments égarés et d’étreintes ou de terribles solitudes, nourrirent, monte un chant fragile, inaudible à ceux que le vent et les subtils parfums des fleurs évitent d’emporter.