Que de larmes et que d’autres substances transparentes, lacérées par l’étude, remplissent à déborder ces bocaux posés à même le sol, perlant à en nourrir les lames de l’antique parquet, près du vieux coffre, qu’aucune clé ne saurait faire parler.
Ils vous guettent dans la pénombre à peine perlée d’éclats lumineux scintillants sur le verre de leur peau, pour attester et vous prendre à témoin des humeurs et des larmes, des vôtres peut-être, qui dorment dans leur seins, extraits des émotions, des troubles et des envies, mais aussi des joies et des rires, que le mélange et la concentration a transformé en terribles venins .
Le lieu, habité d’odeurs fanées, est une grotte, un ventre, filtrant lumière et son, écartant le flux de la vie du commun, il vous porte à oublier, à n’être plus que torpeur, hors celle de l’esprit qu’il faut laisser aller à flotter et à rêver et à suivre sa pensée, oublier le corps sans le laisser aller, au risque qu’il n’aille renverser les nectars, les rendant hagard à serpenter sur le sol détrempé. 

Il faut quelques mots, comme autant de clés, pour franchir les fanons du sas et pousser l’ultime barrière de cet autre monde façonné par JENNIFER MACKAY. Ces mots c’est elle qui les porte et qui vous les confie. Ces mots vous préparent à entendre ceux qui dorment au creux de votre souffle, ces mots ténus, fragiles, comme écrit sur le brouillard des émotions, ces mots que l’on sait être, mais que l’évanescence rend si difficile à prononcer sans que le corps, qui les tient prisonnier, ne les laisse partir qu’au flot du sanglot du rire ou de la peine.
Ce que JENNIFER nous propose est une page que nous avons la liberté de saisir et que nous seuls sommes capable de remplir, c’est un décor qui fait de nous le sujet, même déformé dans ce miroir curieux qui nous regarde autant qu’il nous reflète.
Le sas ne se franchi pas de la même manière à l’entrée et à la sortie. Jennifer est là si les mots sont trop vastes, pour en recueillir un peu de ceux que vous portez.
Les artistes sont des portes, en en poussant le vantail de l’œuvre proposée, c’est soi-même que l’on voit, reste à se reconnaitre, ce qui n’est pas le plus facile.   

Crépuscule ? Peut-être. Abandon de l’enthousiaste néon du « rien », sans aucun doute ! Ici la pénombre, appuyée du son assourdi de méandres de lin, se glisse, hors du sas, à la conquête de l’œil, qu’elle caresse d’une pluie de photons alanguis. Il faut quelques pas pour voir où mène la prudente enjambée que l’oreille peine à guider. Entrer dans l’installation de Jennifer MACKAY est lui rendre l’hommage de l’abandon, comme on se glisse dans l’écoute d’une histoire, guidé par la main invisible, au déplacement si lent, qu’elle nous confia en nous ouvrant la porte. L’œil, éclairé de lenteur, découvre et plonge à l’appel de mémoire et lit, dans cet espace si dense, ce qui s’écrit sur le grand livre des émois, que chacun porte en soi, si pesant à en tourner les pages à la lumière du jour et si volubile, quelques fois, à la lumière du doute. Jennifer MACKAY nous tend un miroir, à nous de nous y voir. 

La porte, ménisque vertical, miroir liquide de Cocteau, fut franchie par Orphée.
De la lumineuse Eurydice il ne ramena que l’ombre
qui, maintenant, le suit, à lui manger l’âme.
JENNIFER MACKAY, gardienne du fragile opercule, chevelure de textile, racines venues du ciel, vous guide, comme Orphée le fut, à passer le pas de l’huis protecteur.
Orphée avait des gants pour franchir la barrière de son intime désire, Jennifer, elle, vous guide de ses mots pour habiter l’ombre de l’au-delà du voile qui s’écarte
en vous délaissant de l’âpreté rêche de la ville pour vous recevoir dans la quiétude du ventre de vos pensées
si vous vous laissez bercer
au sein de ce lieu parfumé il est avant tout question de se retourner, de se contempler et d’envahir l’ombre pour s’en habiller.