La neige, délice enfantin à fondre sur la langue, est une théâtrale fantaisie, un geste de cirque, une illusion dramatique et, d’un paysage dont elle rabote les chapitres des saisons, il n’en émerge que peu, mais s’en imagine beaucoup.
Ce drap gigantesque s’étend à en étouffer les moindres petits reliefs et les moindres petits mouvements, même le vent semble retenir son haleine.
La pâleur du sol hérissé de troncs, de branches, de tiges et de bâtons, joue à se confondre à l’uniformité du ciel que l’on croirait pouvoir toucher.
A l’approche tout est clair : un élément central retient notre attention et à gauche et à droite deux autres captent le regard, organisant un effet de symétrie, puis vient le ciel, puis vient le socle du paysage, ce qui nous fait penser à une grande simplicité …
Enfin, on peut croire que cette sage conception puisse nous laisser dans une agréable lecture : c’est un paysage ! mais où est le ciel, n’est-ce pas plutôt la rive escarpée d’un versant enneigé ? et là ? ces arbres, si peu tranquilles, presque décharnés et presque dépourvus de neige ? Dans la dérive du regard cherchant l’écho de pensées qu’évoquent des détails qui naissent les uns des autres, il se fait une histoire, des histoires dont Fabien CHEVRIER a ébauché le décor.  

                 Un tumulte d’arbres gigantesques barre le ciel illuminé d’un incendie de fête foraine. Il règne dans ce paysage un puissant désordre. Une main énorme a dû écarter les arbres de part et d’autre du chemin qui fut pont en franchissant l’eau à demi-endormie. Les géants chancelants s’inclinent laissant voir l’horizon, espoir de voyage qu’un astre bénéfique éclairera d’une douce chaleur. CHEVRIER est un conteur, il lui faut cette dose de frayeur organisée en chaos, mais aussi un pont, un pont puissant bordé de garde-corps, un pont tranquille. C’est lui la main terrible, bousculeuse d’ombres, déchireuse d’oppression. Un calme bosquet d’arbres attend au franchissement de l’eau, les autres, en symétrie, tentent de s’écarter et s’emmêlent en se griffant de leurs branches. Le ciel est un rideau de théâtre, une fanfare silencieuse, une acclamation en attente de nous voir arriver  
                 CHEVRIER est un conteur de bonne tradition. Créateur de tension à l’instar des créateurs histoires dites pour enfants, ces contes pervers, sadiques, cruels lus à voix douce par le parent protecteur qui endort la fragile jeune pousse, chatouillée de peur en l’attente du dénouement punissant le coupable et ouvrant la porte du sommeil, CHEVRIER un pinceau en guise de filet de voix, nous entraine sur le chemin oublié de la nature la nuit. Le décor est planté : le lit est d’eau, les murs de haute futée, le toit de ciel, la voix est celle de la brise, du vent ou de l’infernal orage à bousculer les feuilles, déchirer les houppiers, à griffer les cieux des hautes branches dégarnies ; le rideau de la nuit étouffe l’eau endormie, ridée des soubresauts des massacres pour la vie des peuples d’insectes, de batraciens, de rongeurs et de loups et, épouse de sa flasque consistance les abords spongieux à boire le silence de l’inquiétant étang.
Entends-tu le mouvement de tes yeux qui cherche, petit enfant qui habite en toi, la route qu’il faut suivre pour revenir au chaud, à la lumière enveloppante, à la caresse d’un drap ?
CHEVRIER, père-poule, breloquant de l’oreille, écarte de ses grandes mains le tissu des noirceurs pour dégager l’horizon qu’éclaire un jour d’avant l’aurore.  

Fabien CHEVRIER peint comme il écrit, écrit comme il dessine, dessine comme il façonne : l’œil sur l’objet et le regard plongé dans les vers de Rimbaud.
CHEVRIER est un artisan obéissant à l’injonction d’une commande non dite que son travail révèle et développe. Comment dire un sentiment ? Comment exprimer l’abstrait d’une pensée ? Comment raconter une vaste histoire en une vignette, un objet ?
CHEVRIER le sait : il faut recommencer, et ne jamais abandonner, et changer de point de vue, et varier sans se perdre, sans se diluer, le faire pour soi et surtout pour l’autre, cet autre au regard inquiétant, permanent, cet autre terrible qui est à la fois soi et lui, à qui il faut plaire, à qui il faut complaire, en restant un soi-même qui ne cesse d’évoluer au regard du travail effectué.
CHEVRIER est un griot assis sous un pommier, sa voix est au bout de son pinceau. Conteur généreux, il laisse aux mots le plaisir d’inventer en suivant les traces de l’huile dont il nourrit la toile.
Les bouleaux, assemblés en verticale fascine, proue d’un solide navire, fendent la nuit, écartant les ténèbres d’un jour finissant, à peine expirant. Cette petite toile de Fabien CHEVRIER raconte, de son noire et de son blanc déclinés en teintes d’un jour s’épuisant, le désordre des pensées avivées de pénombre. La fin du jour, qui vient, éclaire à demi la certitude de ces piliers du ciel qui barrent de leurs troncs argentés, tel une impénétrable pluie, le regard frontal du paysage que bloque leur présence, nous obligeant à l’écart, à la pensée diverse, à l’abandon des certitudes, aux divagations qu’appelle le vallon deviné plus que vu, là, à l’arrière, sur le côté, laissant présager que, ces arbres redoutables, ne se pressent l’un contre l’autre que pour trouver la chaleur d’un corps qu’ils composent et qui se croit menacé, comme nous pensons l’être en les croyant si fermes, là debout devant nous, les pieds dans l’indicible, les cimes dans le noir qui les noie. Pourtant, la flamme de leurs troncs, comme un fanal, est l’amer de nos errements, le guide de nos vaporeuses promenades et nous laissent espérer que ce signal si doux durera, nous évitant l’absence. 

                 On prend généralement un air inspiré en disant, les deux pieds à peu près parallèles, l’un dépassant légèrement l’autre, la main portant le menton d’une tête légèrement inclinée : « ça me fait penser à …. » Suit la liste des évidences, un peu comme les noms des 5 premiers du Tour de France, et en ce cas ceux de Picasso, Becon, Matisse … et des anecdotes s’y rattachant. En voyant ce tableau, que CHEVRIER nomme « Nature Défleurie » en raison de son amour immodéré pour Rimbaud, dont les poèmes sont, plus qu’ils ne trainent, en permanence dans son atelier, j’ai eu une fulgurance. Ce fut comme un éclair, un poids dans un cartable (c’est ce qu’on avait à l’époque), une table en bois clair depuis longtemps scarifié, rayé, taché, écorné, quasiment maché, un gigantesque tableau que l’on disait noir par habitude et … ah ! je m’éloigne et me laisse engloutir, oui j’ai eu la Vision, la sublime vision du « Lagarde et Michard » recouvert de plastique transparent, acheté d’occas’ et revendu comme tel quelques mois plus tard, le « Lagarde et Michard » du XVII è dans lequel il y a peut-être ce qui me déclencha cette évocation et me fit voir en lieu et place de « Nature défleurie » un tableau de Nicolas Poussin ….
CHEVRIER, bon gars, en rigola et ne refusa pas ce qu’il qualifia d’éloge concernant Poussin et en me disant un certain respect pour l’ouvrage évoqué qui, peut-être, contient en illustration une toile de ce peintre si brillant.
Quoiqu’il en soit, si la toile de CHEVRIER ne présente ni ruine romaine, ni ruine grecque, elle est une invitation à la promenade et à la méditation à l’instar des paysages de Poussin.