EXPO DE NOVEMBRE 2021
La neige, délice enfantin à fondre
sur la langue, est une théâtrale fantaisie, un geste de cirque, une
illusion dramatique et, d’un paysage dont elle rabote les
chapitres des saisons, il n’en émerge que peu, mais s’en imagine
beaucoup.
Ce drap gigantesque s’étend à en étouffer les
moindres petits reliefs et les moindres petits mouvements, même le
vent semble retenir son haleine.
La pâleur du sol hérissé de
troncs, de branches, de tiges et de bâtons, joue à se confondre à
l’uniformité du ciel que l’on croirait pouvoir toucher.
A
l’approche tout est clair : un élément central retient notre
attention et à gauche et à droite deux autres captent le regard,
organisant un effet de symétrie, puis vient le ciel, puis vient le
socle du paysage, ce qui nous fait penser à une grande simplicité …
Enfin, on peut croire que cette sage conception puisse nous
laisser dans une agréable lecture : c’est un paysage !
mais où est le ciel, n’est-ce pas plutôt la rive escarpée d’un
versant enneigé ? et là ? ces arbres, si peu tranquilles,
presque décharnés et presque dépourvus de neige ? Dans la
dérive du regard cherchant l’écho de pensées qu’évoquent des
détails qui naissent les uns des autres, il se fait une histoire,
des histoires dont Fabien CHEVRIER a ébauché le décor.
Un tumulte d’arbres gigantesques
barre le ciel illuminé d’un incendie de fête foraine. Il règne
dans ce paysage un puissant désordre. Une main énorme a dû écarter
les arbres de part et d’autre du chemin qui fut pont en
franchissant l’eau à demi-endormie. Les géants chancelants
s’inclinent laissant voir l’horizon, espoir de voyage qu’un
astre bénéfique éclairera d’une douce chaleur. CHEVRIER est un
conteur, il lui faut cette dose de frayeur organisée en chaos, mais
aussi un pont, un pont puissant bordé de garde-corps, un pont
tranquille. C’est lui la main terrible, bousculeuse d’ombres,
déchireuse d’oppression. Un calme bosquet d’arbres attend au
franchissement de l’eau, les autres, en symétrie, tentent de
s’écarter et s’emmêlent en se griffant de leurs branches. Le
ciel est un rideau de théâtre, une fanfare silencieuse, une
acclamation en attente de nous voir arriver
CHEVRIER est un conteur de bonne
tradition. Créateur de tension à l’instar des créateurs
histoires dites pour enfants, ces contes pervers, sadiques, cruels
lus à voix douce par le parent protecteur qui endort la fragile
jeune pousse, chatouillée de peur en l’attente du dénouement
punissant le coupable et ouvrant la porte du sommeil, CHEVRIER un
pinceau en guise de filet de voix, nous entraine sur le chemin oublié
de la nature la nuit.
Le décor est planté : le lit est
d’eau, les murs de haute futée, le toit de ciel, la voix est celle
de la brise, du vent ou de l’infernal orage à bousculer les
feuilles, déchirer les houppiers, à griffer les cieux des hautes
branches dégarnies ; le rideau de la nuit étouffe l’eau
endormie, ridée des soubresauts des massacres pour la vie des
peuples d’insectes, de batraciens, de rongeurs et de loups et,
épouse de sa flasque consistance les abords spongieux à boire le
silence de l’inquiétant étang.
Entends-tu le mouvement de tes
yeux qui cherche, petit enfant qui habite en toi, la route qu’il
faut suivre pour revenir au chaud, à la lumière enveloppante, à la
caresse d’un drap ?
CHEVRIER, père-poule, breloquant de
l’oreille, écarte de ses grandes mains le tissu des noirceurs pour
dégager l’horizon qu’éclaire un jour d’avant l’aurore.
Fabien CHEVRIER peint comme il écrit,
écrit comme il dessine, dessine comme il façonne : l’œil
sur l’objet et le regard plongé dans les vers de Rimbaud.
CHEVRIER
est un artisan obéissant à l’injonction d’une commande non dite
que son travail révèle et développe. Comment dire un sentiment ?
Comment exprimer l’abstrait d’une pensée ? Comment raconter
une vaste histoire en une vignette, un objet ?
CHEVRIER le
sait : il faut recommencer, et ne jamais abandonner, et changer
de point de vue, et varier sans se perdre, sans se diluer, le faire
pour soi et surtout pour l’autre, cet autre au regard inquiétant,
permanent, cet autre terrible qui est à la fois soi et lui, à qui
il faut plaire, à qui il faut complaire, en restant un soi-même qui
ne cesse d’évoluer au regard du travail effectué.
CHEVRIER est
un griot assis sous un pommier, sa voix est au bout de son pinceau.
Conteur généreux, il laisse aux mots le plaisir d’inventer en
suivant les traces de l’huile dont il nourrit la toile.
Les bouleaux, assemblés
en verticale fascine, proue d’un solide navire, fendent la nuit,
écartant les ténèbres d’un jour finissant, à peine expirant.
Cette petite toile de Fabien CHEVRIER raconte, de son noire et de son
blanc déclinés en teintes d’un jour s’épuisant, le désordre
des pensées avivées de pénombre. La fin du jour, qui vient,
éclaire à demi la certitude de ces piliers du ciel qui barrent de
leurs troncs argentés, tel une impénétrable pluie, le regard
frontal du paysage que bloque leur présence, nous obligeant à
l’écart, à la pensée diverse, à l’abandon des certitudes, aux
divagations qu’appelle le vallon deviné plus que vu, là, à
l’arrière, sur le côté, laissant présager que, ces arbres
redoutables, ne se pressent l’un contre l’autre que pour trouver
la chaleur d’un corps qu’ils composent et qui se croit menacé,
comme nous pensons l’être en les croyant si fermes, là debout
devant nous, les pieds dans l’indicible, les cimes dans le noir qui
les noie. Pourtant, la flamme de leurs troncs, comme un fanal, est
l’amer de nos errements, le guide de nos vaporeuses promenades et
nous laissent espérer que ce signal si doux durera, nous évitant
l’absence.
On prend généralement un air inspiré
en disant, les deux pieds à peu près parallèles, l’un dépassant
légèrement l’autre, la main portant le menton d’une tête
légèrement inclinée : « ça me fait penser à …. »
Suit la liste des évidences, un peu comme les noms des 5 premiers du
Tour de France, et en ce cas ceux de Picasso, Becon, Matisse … et
des anecdotes s’y rattachant. En voyant ce tableau, que CHEVRIER
nomme « Nature Défleurie » en raison de son amour
immodéré pour Rimbaud, dont les poèmes sont, plus qu’ils ne
trainent, en permanence dans son atelier, j’ai eu une fulgurance.
Ce fut comme un éclair, un poids dans un cartable (c’est ce qu’on
avait à l’époque), une table en bois clair depuis longtemps
scarifié, rayé, taché, écorné, quasiment maché, un gigantesque
tableau que l’on disait noir par habitude et … ah ! je
m’éloigne et me laisse engloutir, oui j’ai eu la Vision, la
sublime vision du « Lagarde et Michard » recouvert de
plastique transparent, acheté d’occas’ et revendu comme tel
quelques mois plus tard, le « Lagarde et Michard » du
XVII è dans lequel il y a peut-être ce qui me déclencha cette
évocation et me fit voir en lieu et place de « Nature
défleurie » un tableau de Nicolas Poussin ….
CHEVRIER,
bon gars, en rigola et ne refusa pas ce qu’il qualifia d’éloge
concernant Poussin et en me disant un certain respect pour l’ouvrage
évoqué qui, peut-être, contient en illustration une toile de ce
peintre si brillant.
Quoiqu’il en soit, si la toile de CHEVRIER
ne présente ni ruine romaine, ni ruine grecque, elle est une
invitation à la promenade et à la méditation à l’instar des
paysages de Poussin.
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